Ecrits d’Alain Braïk, philosophe, sur la création artistique

« À l’attaque N°6

Ma thèse est donc que le véritable artiste ne produit rien; que seul l’artisan produit; et produit régulièrement (il est même tenu de le faire: c’est sa définition même d’artisan).

L’artiste travaille; mais il travaille surtout et d’abord sur son âme : c’est la spécificité de son travail et ce qui le distingue de l’artisan, précisément. Le travail de l’artiste sur son âme est tout à fait comparable à l’opération de la Grâce. (c’est pourquoi dans les temps INGRATS l’artiste donne toute son énergie, tout son TRAVAIL à simplement lutter pour conserver cet ÉTAT de GRÂCE).

Le travail de l’artiste est tout intérieur; un processus d’intériorisation, de rentrer en soi-même. C’est donc tout le contraire de ce qu’on comprend, de ce qu’on attend ordinairement de lui et qui est une extériorisation dans une oeuvre objective. ( mais pour cela il faudrait un appel, un besoin, une SOIF du temps).

L’art, le vrai, est ce miracle, précisément, que l’ artiste réussisse à faire les deux,  deux opérations diamétralement opposées, absolument contraires, antinomiques. C’est en ce sens que l’art est un mystère inexplicable comme le Mystère même de la Création Divine. (En d’autres temps il n’y avait pas cette SCISSION, cette séparation, ce DRAME: les DEUX PROCESSUS ne faisaient qu’UN.)

Il y a Incarnation. Et l’artiste n’est rien autre chose que du divin incarné; que la Présence de l’éternel dans son être fini, dans sa vie temporelle mortelle. L’artiste revit, renaît à cette incarnation du divin en lui, à l’intérieur de lui-même, et c’est en cela qu’il est artiste et en Communion avec tous les autres vrais artistes du passé: voilà la richesse, la qualité infinie de son âme. 

Le processus miraculeux de faire le chemin inverse de celui de l’intériorisation, de faire le chemin vers l’extérieur et de donner maintenant une sorte de photocopie de son âme riche, divinisée, bref de faire une OEUVRE, est un processus indépendant de la volonté de l’artiste: l’artiste ne peut pas à loisir, librement, quand et comme il veut, donner une photocopie de sa belle âme.

Il doit attendre.

Certes, il peut toujours bien produire comme tout le monde et en artisan; mais il sait et sent que ses produits ne sont pas de création véritable; que ce sont des produits finis, de belles marchandises certes peut-être, mais qui n’ont que très peu affaire avec la plénitude de son âme.

Et il sait aussi qu’on ne joue pas avec son âme ainsi graciée car on risque le pire qui est de la perdre. De ne plus avoir de grâces. De n’être plus artiste, donc.

L’ART EST MORT, disent ceux qui ont tenté de l’assassiner.

L’ingénieur liberté, Paris le 01-02-1990 »